Barcelone, 1er juin 2018

Assemblée générale annuelle

Après Rome en 2016, Londres en 2017, c’est à Barcelone que l’assemblée générale annuelle de l’EEEI s’est tenue le 1er juin 2018 dans les prestigieux locaux de l’ordre des avocats. Celui-ci s’enorgueillit légitimement de sa bibliothèque, créée dès l’origine en 1833, comportant aujourd’hui 200.000 volumes et un fonds historique qui n’a cessé d’être enrichi grâce au travail du conservateur Madame Patricia Sanpera Izoard.

AG 2018 Copresidents
Béatrice Deshayes & Etienne Claes, co-présidents

 

Au-delà des travaux statutaires de l’assemblée générale, les co-présidents ont présenté leur rapport moral rappelant l’ensemble des travaux en cours et notamment les objectifs et l’avancement à date du projet « Find an Expert » cofinancé par la Commission européenne devant les représentants des membres institutionnels tels que le Barreau de Paris, le Barreau de Prague, le Barreau des Hauts de Seine, la cour d’Appel de Cologne, de Liège, et une cinquantaine de membres individuels.

 

 

Luc Ferrand
Luc Ferrand

Conférence : Avocats et experts face aux nouveaux défis de la justice

Après une pause-café très conviviale ayant permis de multiples échanges entre les participants présents, la fin de matinée fut traditionnellement consacrée à une conférence de haut niveau dont les thèmes étaient « Avocats et experts face aux nouveaux défis de la Justice : internationalisation, dématérialisation, E-évidence et Justice prédictive » (ou comment les nouvelles technologies peuvent-elles améliorer la qualité de la justice dans l’UE).

Après quelques mots d’accueil de Madame Yvonne Pavía, Secrétaire général de l’ICAB qui représentait Madame Cristina Vallejo Ros, Membre du Conseil d’administration de l’ICAB et responsable du pôle formation, c’est Monsieur Luc Ferrand, Directeur adjoint du projet « Evidence-2-e-CODEX », détaché par le Ministère de la Justice de France, qui est intervenu en premier pour expliquer l’importance :

  • du portail e-justice, projet e-CODEX, développé par le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne,
  • de la dématérialisation des procédures dans l’Union Européenne.

Monsieur Ferrand, dans ce contexte, se félicita des très importants enjeux du projet « Find an expert » conduit par l’EEEI avec le concours financier de la CE, dont le premier objectif est de réunir les listes d’experts existantes au sein de l’UE et mettre à disposition celles-ci sur le portail e-justice pour faciliter la recherche d’un expert dans un État de l’Union.

Il précise que le projet « Find an expert » est une brique d’une vaste construction visant à identifier de façon certaine et pérenne tous les acteurs du monde judiciaire dont les experts font partie et tous les actes que ceux-ci accomplissent afin de généraliser à terme les échanges d’informations dématérialisées entre tous ces acteurs tout en respectant l’organisation propre à chaque État membre.

Le principe de subsidiarité a conduit à rechercher un système de communication décentralisé qui assure l’interopérabilité entre les différentes applications développées au sein des États membres en laissant à ceux-ci et aux différents praticiens (huissiers, notaires, avocats, experts) la liberté d’y adhérer.

Le système de communication choisi « e- Codex » fonctionne comme un « adaptateur » en ce sens qu’il permet à un document émis par un professionnel travaillant sur son application métier d’être transmis, après signature, et lu par le membre d’une autre profession travaillant sur une application métier distincte tout en garantissant l’identité de l’émetteur et l’intégrité du message.

A terme, le développement de ce système conduira vraisemblablement à la création d’une agence européenne spécialisée qui aura pour tâche d’assurer la permanence de la mise à jour des listes de professionnels et de procéder aux différents réglages techniques rendus nécessaires lorsque des changements seront apportés aux systèmes existant dans chaque État membre.


Alain Pilette
Alain Pilette

Monsieur Alain Pilette, Directeur-adjoint Justice au Conseil de l’Union européenne, président du groupe de travail e-Justice, est ensuite intervenu pour rappeler les objectifs d’e-justice découlant de l’importance du développement de liens non seulement entre l’UE et les États membres mais aussi entre ces États membres et les praticiens. Il a précisé que la période 2019-2023 serait placée sous le signe d’une clarification des rôles des États membres, des praticiens et des groupes de travail. Il a enfin souligné la difficulté liée à l’absence d’interlocuteur dans les professions non réglementées dont les experts font partie.

Monsieur Pilette constate l’étroit lien entre les objectifs d’e-justice et ceux de « Find an Expert » (JUST-AG-2016-05 JUST 766374), projet transnational, co-financé par la Direction Générale de la justice et des consommateurs de la Commission Européenne, conduit par l’EEEI.

 

 

 


Yannick Meneceur
Yannick Meneceur

Monsieur Yannick Meneceur, Secrétaire du Groupe de travail du Centre SATURN pour la gestion du temps judiciaire, Secrétaire CEPEJ (Commission Européenne pour l’efficacité de la justice du Conseil de l’Europe), est ensuite intervenu pour « démythifier » les concepts d’intelligence artificielle et de justice prédictive.

Prenant acte du développement d’énormes bases de données et de l’utilisation d’outils statistiques et de calculs de probabilité pour traiter ces masses de données, il a souligné que la mise en œuvre de ces technologies dans le champ judiciaire, même avec l’objectif d’améliorer la qualité de la justice, doit être assortie de garanties pour les rendre compatibles avec la convention européenne des droits de l’homme.

En effet, il existe un risque certain d’atteinte à l’impartialité du juge qui pourrait être influencé par la connaissance d’un très grand nombre de décisions convergeant vers une solution identique pour des cas similaire. Par ailleurs, un second risque réside dans le développement de « forum shopping » en fonction de la jurisprudence d’un juge ou d’un tribunal recueilli par une collecte exhaustive des décisions rendues, voire d’un appauvrissement de la réflexion par conformisme avec une ligne jurisprudentielle dominante médiane.

Monsieur Meneceur a mentionné une étude réalisée sur 584 décisions de la CEDH. Ces résultats relativisent la valeur prédictive de l’analyse quantitative de la jurisprudence puisque, s’il a été constaté qu’elle permettait d’anticiper 79% des décisions de la cour sur l’interprétation des faits, ce taux d’anticipation n’est plus que de 62% pour l’application du droit ce qui rend le pronostic très aléatoire et démontre que l’intelligence artificielle reste incapable de produire un raisonnement juridique.

Ces risques sont encore beaucoup plus importants en matière pénale dès lors qu’on tente d’utiliser ces méthodes pour prévoir et prévenir la commission d’infractions et/ou la récidive. L’exemple américain de l’attribution à un homme blanc, auteur de violences graves, d’un coefficient de dangerosité très inférieur à celui attribué à une femme noire auteur d’un délit routier mineur, démontre les limites de la méthode qui surévalue l’importance au cas d’espèce du critère racial même si statistiquement il est établi que les actes de délinquance sont  pour de multiples raisons et particulièrement des  raisons socio-économiques et culturelles étrangères à l’appartenance ethnique, davantage le fait des populations de couleur que des populations blanches.

Monsieur Meneceur a conclu son exposé sur l’urgent de développer des règles éthiques pour réguler l’emploi de ces méthodes qui, appliquées sans précaution, ne feraient que ressusciter la théorie du criminel-né chère à Lombroso à la fin du XIXème siècle. Ces règles éthiques devront garantir la transparence de la méthode et le contrôle des algorithmes utilisés. Leur mise en œuvre nécessitera le recours à des experts spécialisés, indépendants et responsables et la création d’une autorité de contrôle.

La conférence s’acheva avec l’intervention de Monsieur Fernández Comas, Directeur de Derechopractico et ambassadeur de l’Institute of Legal Innovation.

Monsieur Comas a présenté quelques exemples actuels d’utilisation de l’intelligence artificielle permettant des gains d’efficacité considérables à condition de disposer d’un processus de traitement de données de qualité et de gros volumes de données exploitables.

Parmi eux :

  • la reconnaissance faciale qui, combinée avec un fichier de mauvais payeurs, permet à des entreprises chinoises d’identifier ces derniers et de réduire leur taux d’impayés,
  • les chatbots qui apportent des réponses de plus en plus pointues aux demandes, formulées par le public, de renseignements juridiques sur les procédures à suivre. Cette approche devrait aboutir à réduire le nombre d’avocats dont la performance pourra par ailleurs être évaluée en fonction des résultats obtenus devant les juridictions,
  • l’administration fiscale sera en mesure de répondre avec des processus similaires aux 370 questions les plus souvent posées par les contribuables, déchargeant ainsi les agents de cette mission de renseignement, améliorant en conséquence leur valeur ajoutée.

 

 


Soirée

Sagrada familia
Sagrada familia

 

A l’issue de la conférence, les participants qui l’ont souhaité ont bénéficié d’une visite guidée de la Sagrada Familia suivi d’un dîner autour d’une Paella partagée.

Alain Nuée
Président du Comité d’Orientation

 

 

 

 

 

Information

Adresse : Carrer de Mallorca, 283, Barcelona, Espagne

Date : 1 juin 2018