L’expertise judiciaire civile aux Pays-Bas : État des lieux et évolutions

Le projet Eurexpertise a permis un recensement exhaustif et une analyse objective des règles et pratiques en usage en matière d’expertise civile sur l’ensemble du territoire de l’UE, et de proposer aux instances européennes des axes de réformes consensuels pour réduire les divergences constatées.

Les fiches par pays résultant de ces travaux sont présentées dans le rapport final Eurexpertise, publié en 2012 et font l’objet d’une réactualisation progressive sous le contrôle de l’Institut et d’une publication en partenariat avec la revue Experts.

Le descriptif concernant les Pays-Bas a été actualisé et publié dans la Revue Experts n°130 de février 2017, grâce au travail bénévole de contributeurs du monde judiciaire et expertal européen.

Avec l’aimable autorisation de Mme Marie-Hélène Bernard, rédactrice en chef de la Revue Experts.

Experts judiciaires aux Pays-Bas

Par Nico Keijser

Aux Pays-Bas, les experts judiciaires ne sont régis que par quelques articles du Code de procédure civile néerlandais. Des lignes directrices plus récentes ont été élaborées par le Conseil de la magistrature, qui incluent un code de conduite que les experts sont tenus de suivre. Plusieurs évolutions ont précisé la manière dont les experts judiciaires s’acquittent de leurs tâches. En combinant les Lignes directrices, le Code de conduite et le Modèle d’avis d’expert (récemment modifié), l’expert judiciaire dispose de directives claires qui lui permettent de s’acquitter correctement de ses tâches. Cependant le processus est en cours d’évolution.

Code de procédure civile

Les articles 194 à 200 à 202 du Code de procédure civile néerlandais traitent des experts et seuls ces huit articles traitent explicitement de l’avis d’expert. Il y a un article qui traite de la désignation d’un expert et il y a des articles qui prescrivent que l’expert doit exercer ses fonctions au meilleur de sa connaissance et que, s’il ne possède pas l’expertise requise, il ne doit pas accepter la mission. Il existe des règles concernant les coûts de la mission et le paiement de ces coûts à l’avance. Les règles stipulent la manière dont l’expert doit mener son investigation, indiquant les cas où dans la pratique il revient au juge plutôt qu’à l’expert de se prononcer sur les questions importantes. L’une des règles les plus importantes est énoncée à l’article 198, paragraphe 2, qui traite de l’audi alteram partem. Si l’expert ne permet pas que les deux parties soient également représentées dans son investigation, le rapport ne peut pas et ne sera pas utilisé par le juge.

Types d’expertises

Aux Pays-Bas (comme dans d’autres pays) les expertises civiles peuvent être effectuées de plusieurs manières :

  • Experts désignés par une seule partie
  • Experts désignés par plusieurs parties (deux parties /toutes les parties)
  • Experts désignés par le tribunal dans le cadre d’une procédure préliminaire
  • Experts désignés par le tribunal

Les experts nommés par les parties sont – comme leur nom l’indique – nommés et payés par l’une ou, dans certains cas, par les deux parties. Bien que les experts nommés par les parties figurent dans les registres et parmi les personnes fréquemment nommées par le tribunal, la plupart du temps la valeur d’un expert nommé par une seule partie dans la plupart des procédures est réputée moindre. Si l’expert n’est pas désigné par le juge, il est probable que l’autre partie tentera, très probablement, de discréditer le rapport comme étant favorable ou biaisé en faveur de la partie qui nomme l’expert. Cependant, les rapports des experts appliquant toutes les règles d’une enquête indépendante (comme s’ils étaient des experts nommés par le tribunal), qui incluaient parfois le principe d’audi alteram partem, tendent à avoir une plus grande valeur. Il y a des cas connus où le rapport d’un expert d’une partie, avec le consentement de l’autre partie, a été utilisé par le juge. Les cas où les deux parties désignent leur propre expert sont généralement traités dans le cadre de litiges privés. En faisant appel à un expert connaissant bien les procédures formelles d’expertise judiciaire, les parties s’assurent qu’elles obtiendront une investigation et un rapport complets et adéquats. Cela rend le règlement du conflit plus probable et tout rapport plus acceptable pour les deux parties.

À l’heure actuelle, une discussion est en cours et prend peu à peu de l’ampleur, sur le fait qu’un expert nommé par une partie suscite moins de méfiance à l’égard de la partie adverse et de la Cour lorsqu’un expert désigné par une partie a mené une investigation approfondie et adéquate et qu’il s’est conformé au principe de l’audi alteram partem. L’utilisation d’un rapport produit de cette façon est considérée comme une opinion d’expert qui devrait être prise en considération par le juge. Le rapport lui-même doit être cohérent et structuré de manière logique, et répondre à toutes les questions correctement formulées sur l’objet du différend entre les parties. Il doit également présenter les documents sur lesquels il se fonde, ainsi que les théories pertinentes sur le sujet. Bien entendu, l’indépendance de l’expert judiciaire exécutant la mission, et celle des experts judiciaires en général, devraient être (beaucoup) plus importantes.

En vertu du droit néerlandais, il est possible de demander à un juge de nommer un expert dans une situation où l’une des parties n’est pas certaine de sa position technique, ou ne dispose pas des éléments de preuve qui sont en possession de l’autre partie. Le demandeur peut alors entamer une procédure préliminaire avec le juge et demander qu’un expert judiciaire soit nommé pour enquêter sur la question technique. Les règles applicables à l’expert qui effectue cette investigation préliminaire sont exactement les mêmes que celles d’une mission « régulière ». La seule différence factuelle est le moment dans le processus juridique où la nomination est faite et l’investigation se déroule.

Les experts désignés par le tribunal peuvent être nommés soit à la demande d’une ou des deux parties, soit à l’initiative du juge. Les deux parties peuvent proposer la nomination d’un expert particulier, mais c’est le juge qui décide. Dans le passé, le juge n’examinait pas de façon approfondie les qualités et les connaissances de la ou des personnes suggérées, surtout pas lorsque les deux parties suggéraient la même personne. Au fil du temps, les tribunaux ont reconnu leur propre responsabilité dans la nomination d’un expert adéquat. Les juges qui n’ont pas de connaissances sur un sujet technique ne sont généralement pas en mesure de choisir un expert possédant les connaissances pertinentes. C’est ce qu’on appelle le « déficit de connaissances ». C’est la raison pour laquelle l’enregistrement des experts judiciaires est devenu nécessaire.

Échecs passés et changements

Depuis l’an 2000, il y a eu beaucoup de discussions aux Pays-Bas au sujet d’une série de manquements procéduraux majeurs en droit pénal. Dans des cas où l’on avait fait appel à un expert et où les suspects avaient été condamnés à une peine d’emprisonnement, une enquête ultérieure avait révélé que les experts ne possédaient pas suffisamment d’expertise dans le domaine où ils intervenaient ou ne possédaient même pas du tout cette compétence. Il fallait aider les juges à savoir sur quels critères un expert pouvait être qualifié d’expert et utilisé comme tel. Depuis le 1er janvier 2010, une nouvelle loi sur les « Experts en matière pénale » s’applique. Cette loi a constitué un registre pour les experts qui souhaitent exercer la fonction d’expert judiciaire pour les juges pénaux néerlandais. Ce registre est appelé Registre néerlandais des experts judiciaires. En matière pénale, les juges sont tenus de nommer un expert inscrit et doivent motiver explicitement la nomination d’un expert non inscrit.

Parallèlement à ces évolutions, les mêmes problèmes se sont posés dans les affaires civiles. Même si l’enjeu est moins contraignant pour les parties – elles n’iront pas en prison – les dommages financiers peuvent être importants ainsi que, par exemple, les dommages liés à la réputation. Pour les experts exerçant en droit civil, les mêmes critères de qualité sont en effet applicables. De même, dans les affaires de droit civil, les jugements des juges doivent être rendus sur avis d’experts adéquats. Dans le cas inverse, la confiance du public dans la justice diminuera à long terme.

Lignes directrices et codes de conduite

À partir du moment où toutes les parties en cause se sont plus intéressées à l’expert et à son rôle dans le processus judiciaire, plusieurs documents ont vu le jour.

Il existe maintenant un ensemble d’instructions pratiques et de codes de conduite :

  • Directives pratiques pour les experts en matière de droit civil néerlandais
  • Directives pratiques à l’intention des experts médicaux dans les affaires de droit administratif
  • Code de conduite des experts judiciaires en matière civile et administrative
  • Code de conduite des experts de la Cour dans les affaires pénales
  • Modèle de Rapport d’expert

Les directives pratiques (tant pour le droit civil que pour le droit administratif) sont une explication ainsi qu’un ajout aux articles pertinents du Code de procédure civile. Ces documents sont généralement fournis à l’expert désigné en même temps que la décision de nomination du juge. Les directives pratiques sont, comme leur nom l’indique, des directives pour l’expert.

Les codes de conduite ont un statut plus formel. Tout expert désigné par le tribunal peut être tenu de travailler conformément au Code de conduite applicable. S’il ne le fait pas, cela peut entraîner sa récusation ou un rappel à l’ordre par le juge qui l’a nommé. Aucune de ces deux solutions n’est bénéfique à la réputation de l’expert. Il y a toujours un risque que le verdict soit publié. Les noms des parties seront anonymisés, tandis que les noms des experts seront lisibles par tous.

Le modèle de Rapport d’expert est un document pratique qui donne à l’expert des directives pour n’oublier aucune information. Cependant, ce document n’est pas utilisable dans tous les domaines d’expertise. De nombreux experts ont des commentaires sur le Modèle et utilisent les leurs. L’avantage d’utiliser un modèle pour les juges est évident, puisqu’ils doivent lire fréquemment les avis d’experts et qu’ils n’ont pas ainsi à se soucier de « découvrir » la structure du modèle dans chaque cas. La juridiction de nomination met à disposition les documents nécessaires et applicables pour la mission de l’expert dans la lettre d’accompagnement.

Un expert désigné dans une affaire civile doit désormais prendre en compte les documents suivants, et les appliquer dans l’ordre indiqué ci-après :

  • Décision du juge sur la nomination de l’Expert
  • Lettre de mission jointe envoyée par le Greffe de la Cour
  • Code de procédure civile néerlandais
  • Directive pratique pour les experts en matière de droit civil néerlandais
  • Modèle d’avis d’expert
  • Code de conduite des experts judiciaires en matière civile et administrative
  • Code de conduite de l’Organe professionnel d’experts

Cette séquence s’applique de manière descendante (top-down), étant moins spécifique pour un cas d’espèce et la mission de l’Expert. En cas de contradictions, l’Expert doit motiver dans son rapport écrit la raison pour laquelle il applique l’un ou l’autre document.

Processus en cours

Au sein des ordres professionnels des Pays-Bas, le processus de développement des travaux d’Expertise judiciaire et d’Experts judiciaires est en cours. Les décisions des juges conditionnent le travail des experts :

  • Comment doivent-ils mener leur investigation ?
  • Comment prennent-ils en compte le principe d’audi alteram partem ?
  • Comment traitent-ils les parties qui ne coopèrent pas ?
  • Comment traitent-ils les avocats qui perturbent le processus, pour ne citer que quelques situations qu’un expert judiciaire rencontrera.

Les experts inscrits auprès du LRGD se réunissent régulièrement pour discuter de ces questions et apprendre les uns des autres. La contribution de l’European Expertise & Expert Institute (EEEI) est la bienvenue dans ce débat.

Le présent article n’est qu’une brève description en termes généraux du travail des experts judiciaires aux Pays-Bas. Je peux parler de ce sujet pendant des jours. Avec deux collègues, j’ai rédigé un guide pratique pour les experts judiciaires aux Pays-Bas (ISBN 978-90-8692-059-4).

Si vous avez des questions sur le sujet, n’hésitez pas à me contacter. Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci d’utiliser l’adresse info@lrgd.nl

Nico Keijser 

Secrétaire du conseil d’administration du Registre néerlandais des experts judiciaires LRGD
Président de l’Institut néerlandais des finances judiciaires (NFFI)
Secrétaire du conseil d’administration de l’Association néerlandaise des informaticiens assermentés (NVBI)
Membre du Comité Exécutif de l’Institut Européen d’Expertise et d’Expert (EEEI)