Interview réalisée par Julie Lodomez, avocate au barreau de Bruxelles, membre de l’EEEI

A travers une série de questions sur la médiation, les réponses données par Etienne Debaeke, médiateur en affaires civiles et commerciales en Belgique et les commentaires de Maître Claude Duvernoy, ancien bâtonnier des Hauts-de-Seine, président de la FFCM, président de la Médiation en Seine et Vice-Président de l’EEEI nous font avancer sur la médiation.

Votre parcours professionnel ?

Par Etienne Debaeke

A la suite de ma formation universitaire en Belgique (Économie) et aux USA (MBA), j’ai entamé, en 1975, ma carrière professionnelle au sein de la Direction financière d’une société commerciale internationale en Belgique. Depuis 1986 jusqu’à ce jour, j’exerce la profession de Réviseur d’Entreprises indépendant (« Commissaire aux comptes » en France). Dans les missions d’audit accomplies, cette expérience m’a mis en contact avec nombre d’organisations du secteur marchand (sociétés commerciales, industrielles, …) mais également non-marchand (institutions hospitalières, etc).

 

La médiation ?

Par Etienne Debaeke

J’ai suivi en 2010 la formation de médiateur en affaires civiles et commerciales. Cet intérêt faisait suite à plusieurs expériences professionnelles où il m’était demandé, à la requête privée des parties, d’émettre un avis financier indépendant – et généralement chiffré – dans le cadre de situations pré conflictuelles, voire conflictuelles, et permettant, si nécessaire dans certains cas, d’élargir le champ d’alternatives et d’accords débordant l’énoncé d’un simple chiffre. Il n’entrait pas dans mes intentions de pratiquer la médiation civile et commerciale mais plutôt de mieux saisir sa philosophie.

Maître Claude Duvernoy

Etienne Debaeke évoque clairement l’intérêt de l’avis technique qui donne un socle aux discussions mais aussi ses limites puisque des discussions permettent ensuite de déborder le « simple chiffre ».

Le rôle des experts en Médiation ?

Par Etienne Debaeke

Le processus de la médiation sous la conduite d’un médiateur professionnel confine quelque peu le rôle de l’expert dans la mesure où la médiation englobe bien d’autres aspects que celui purement technique de l’intervention de l’expert qui est requise sur un point particulier. Il est en effet généralement attendu de l’expert financier qu’il se prononce sur un chiffre ou la valeur d’un actif sans se soucier des autres modalités qui entoureraient un accord entre parties.

Toutefois, la stricte réserve ainsi que la neutralité du médiateur liées au rôle de ce dernier, peuvent permettre, dans certaines situations particulières, une « mise en avant » contrôlée du rôle de l’Expert si son intervention technique peut suggérer d’autres pistes de réflexion débordant celle de l’énoncé d’une simple valeur financière par exemple.

Maître Claude Duvernoy

La réponse à la question sur le rôle de l’expert intervenant dans une médiation est clairement posée : « intervention sur un point particulier ». Mais la coopération qui peut s’instaurer entre ce dernier et le médiateur peut permettre la découverte « d’autres pistes ».

Les règles de l’expertise ?

Par Etienne Debaeke

L’expertise en matière civile et commerciale en tant que telle diffère par nature de celle se plaçant dans le cadre d’une médiation vu les règles particulières qui s’appliquent à celle-ci.

L’expert judiciaire par exemple, voire l’expert privé dans certains cas, se limitera, dans la conclusion de son rapport officiel, à accepter ou rejeter, de manière factuelle mais raisonnée, une situation existante ponctuelle ou à fixer une évaluation de dommages, sans se préoccuper, ni même avoir connaissance, des autres éléments d’ensemble du litige ou du conflit (origine, personnes, etc …). C’est alors au Juge ou aux parties d’interpréter et de mettre en œuvre comme ils l’entendent les conclusions de l’expert puisque ce dernier n’a pas pour vocation d’être de manière structurée à l’écoute des parties et, surtout, de participer à un processus préalable de communication.

L’expert en médiation privée doit, selon moi, se soucier de ne pas trop restreindre la conclusion de son rapport qui risquerait de fermer toutes les portes à un règlement éventuel. Si possible, il veillera par exemple à déposer un rapport préliminaire exposant les principes qu’il retiendrait en vue de procéder à l’évaluation de l’actif qui lui est demandée. Dans sa conclusion finale et motivée, et en fonction des circonstances, il pourrait se permettre, si nécessaire, de formuler d’autres pistes éventuelles ou méthodes de valorisation de cet actif qui seraient relevantes.

Maître Claude Duvernoy

Etienne Debaeke ouvre des pistes originales quant au rôle de l’expert en médiation par rapport à l’expert de Justice : ce dernier « se limitera…à accepter ou rejeter…une situation existante ou à fixer une évaluation de dommage » tandis que le premier « doit se soucier de ne pas trop restreindre la conclusion de son rapport… ». Il pourrait être soutenu que cette suggestion va à l’encontre du rôle attendu de l’expert (un avis technique simple clair et exploitable) mais elle a le mérite d’ouvrir des perspectives de collaborations fructueuses très intéressantes et apporte ainsi une première réponse à une des questions posées lors du colloque FFCM/CNCEJ du 6 février 2020.

Les critères des experts en médiation ?

Par Etienne Debaeke

L’expert en médiation diligenté à la demande du médiateur en accord avec les parties, ou sur la demande expresse de celles-ci, doit bien sûr être conscient que son intervention s’inscrit dans un processus structuré dont il doit connaître et respecter les règles. Bien que son appui technique prendra alors le pas sur les compétences nettement plus limitées, voire nulles, du médiateur et des parties dans un domaine spécifique, ce seront les mêmes règles de la médiation qui resteront prédominantes. Si, à contrario, l’expert cumule ses fonctions avec celles d’un médiateur, et vu son savoir-faire, son intervention pourrait plus facilement mettre à mal le processus naturel de la médiation suite à une intervention plus volontariste.
Outre les qualités techniques et d’expérience, de stricte indépendance, de neutralité et d’éthique personnelle, on attend sans doute aussi de l’expert qu’il fasse preuve de devoir de réserve et qu’il soit capable de motiver ses jugements.
Enfin, il doit s’efforcer d’être un «créateur de confiance».

Maître Claude Duvernoy

Etienne Debaeke met en exergue la nécessité d’une formation, ou, à tout le moins, d’une information sur le processus de médiation de l’expert intervenant. A mettre en place conjointement par la FFCM, le CNCEJ et l’Institut ?
«Si, a contrario, l’expert cumule ses fonctions avec celles d’un médiateur, et vu son savoir-faire, son intervention pourrait plus facilement mettre à mal le processus naturel de la médiation suite à une intervention plus volontariste». et cette notion de « créateur de confiance », démontre qu’il ne doit peut-être pas rester intangible.
Cette réserve a été clairement évoqué lors du colloque FFCM/CNCEJ du 6 février 2020. A mon avis, elle doit être le postulat de départ. 
«Outre les qualités techniques et d’expérience, de stricte indépendance, de neutralité et d’éthique personnelle, on attend sans doute aussi de l’expert qu’il fasse preuve de devoir de réserve et qu’il soit capable de motiver ses jugements.
Enfin, il doit s’efforcer d’être un «créateur de confiance».»

Les avantages à recourir à un expert de médiation ?

Par Etienne Debaeke

Le recours à un expert en médiation permettra à tous les intervenants de s’appuyer sur un avis externe indépendant qui leur permettra de disposer des données nécessaires à intégrer, d’une manière ou d’une autre, dans un accord final. Outre les cas indiscutables de technicité requis, la désignation d’un Expert permettrait aussi de faciliter la recherche de pistes de résolution du conflit ou d’atténuation de celui-ci.

Maître Claude Duvernoy

Point de vue partagé : c’est vraiment ce qui est attendu de l’expert en médiation.

Le processus d’autodésignation d’un expert dans le système administratif français ?

Par Etienne Debaeke

Le processus d’autodésignation de l’expert en qualité de médiateur, avec l’accord des parties, est propre au système administratif français. La Belgique ne reconnaît pas cette procédure particulière. Toutefois, l’on peut la rapprocher, en Belgique, du contenu de la mission de l’Expert en justice qui, selon l’article 977 du Code Judicaire (Section VI- $ 1 et 2). La tentative de «conciliation» fait donc partie de la tâche de l’expert belge.
Dans les deux cas (système belge et français), ce processus suscite, selon nous, certaines interrogations.
Cette procédure s’assimile en effet à la recherche d’une solution d’un conflit en dehors d’un processus structuré de médiation et des garanties que celui-ci offre.
L’expert français autodésigné en qualité de «médiateur» et/ou l’expert belge «conciliateur» se présentent ainsi comme des «mandataires/négociateurs» qui agissent dans un cadre où la neutralité et la confidentialité ne sont pas réellement assurées. Si cette voie peut donner des résultats, l’intervention de cette procédure peut également échouer. La pratique de l’expertise judiciaire en Belgique tend à démontrer que les résultats de la conciliation lors d’expertises judiciaires sont loin d’être vraiment probants.
Si la «conciliation» ou la pseudo «médiation» n’aboutissent pas, la tentative de recherche amiable de résolution du conflit via une médiation structurée est sans doute souhaitable au vu des garanties qu’elle offre mais aussi considérant son taux de réussite incontestablement beaucoup plus élevé. Les rôles de l’expert et du «conciliateur-médiateur» sont, à notre avis, distincts et difficilement conciliables au sein d’un même litige.

Maître Claude Duvernoy

«tente de concilier les parties. Si les parties se concilient, leur accord est constaté, par écrit. Le constat de conciliation et un état de frais et honoraires détaillé de l’expert sont déposés au greffe».
La FFCM, avec d’autres, insiste depuis des années pour que la distinction entre médiation et conciliation soit clairement faite. Il s’agit de 2 MARD différents qui ont chacun leurs qualités propres, même si certains points les rapprochent. Il doit en être de même entre expertise et médiation. Etienne DEBAEKE pointe clairement les difficultés majeures de cette situation : que deviennent la neutralité et la confidentialité, piliers de la médiation, dans cette situation ?

Le point de vue de Claude Vallet, Magistrat honoraire et membre de l’EEEI:

Le rôle médiateur confié à l’expert par l’article R 621-1 du CJA est propre aux juridictions administratives françaises. Cette possibilité n’est pas ouverte dans les affaires relevant des juridictions de l’ordre judiciaire. La confusion des rôles est même exclue dès lors que l’article 131-8 al.2 du CPC prohibe que, dans la même instance, le médiateur soit commis pour effectuer une mesure d’instruction. Comme on le sait, les dispositions de l’article 240 du CPC ne permettent du reste pas plus au juge français de confier à l’expert une mission de conciliation. Ce qui, dans les faits, ne semble pas constituer pas une différence majeure avec le droit belge dans la mesure où les parties peuvent se concilier au cours de la mesure d’expertise, grâce aux investigations diligentées par l’expert. Dans ce cas, il est mis fin à la mesure d’expertise et l’accord intervenu peut-être homologué par le juge.

Il n’en demeure pas moins qu’il importe de différencier clairement les notions de médiation et de conciliation ainsi que le soulignent tant Monsieur Debaeke que Maître Duvernoy. Il me semble que si la confidentialité est évidemment très importante, c’est davantage par la ​neutralité que la singularité de la médiation est la plus immédiatement apparente. En effet, si le juge, l’expert ou l’avocat mandaté par son client doivent ou peuvent, selon le cas, favoriser un accord dans le cadre d’une conciliation, c’est à dire s’engager dans une négociation pour parvenir à un accord ​accepté par les parties, ils ne peuvent pas être médiateurs car, de par leurs fonctions respectives mêmes, ils ne sont pas neutres et donc pas à même de développer/favoriser un dialogue selon les techniques propres à la médiation ( reformulation, écoute active, négociation raisonnée) de nature à conduire les parties à trouver elles-mêmes la solution appropriée à leur différend. Pour être médiateur dans un conflit, il faut être un tiers, tiers non pas au sens juridique du terme, mais en tant que personne n’ayant pas d’influence sur la solution de ce conflit. A l’évidence, le juge ou l’expert ne peuvent pas constituer des tiers neutres: de par leur fonction, ils doivent avoir un point de vue, impartial cela va de soi, mais tout sauf neutre. Telle est, à mon sens, la raison pour laquelle la Directive 2008/52 CE exclut qu’un juge puisse être médiateur dans une affaire dont il a la charge. Le rôle de l’expert dans le cadre d’une médiation ne peut dès lors que s’inscrire dans cette logique.

Nous tenons à remercier Etienne Debaeke, Maître Claude Duvernoy et Claude Vallet pour leurs contributions.