Auteur : Rafael Orellana de Castro

Président de l’association catalane d’experts judiciaires

Représentant pour les affaires internationales du conseil général d’experts judiciaires espagnols

La Loi 1/2000 du 7 janvier sur la Procédure Civile (appelée Ley de Enjuiciamiento civil, LEC 2000) a modifié radicalement la désignation de l’expert judiciaire depuis qu’elle est entrée en vigueur en 2000. La précédente loi de procédure civile (en place depuis 1881), reposait sur un expert unique, nommé par le juge et choisi sur une liste gérée par chaque Cour. Depuis 2000, les arguments que les plaideurs veulent mettre en avant et qu’ils considèrent nécessaires ou appropriés pour l’explication de l’affaire, sont préparés par des experts nommés par eux et doivent être fournis dans le cadre de la réclamation initiale ou en réponse à la réclamation. Cela signifie qu’une partie civile est obligée désormais de fournir l’avis d’expert à la Cour et si elle ne présente pas ces moyens de preuve dans les délais prévus par les procédures, le juge aura alors le droit de rejeter une proposition tardive. C’est l’effet de l’article 336 de LEC 2000, qui implique qu’un avocat, une fois qu’il prend une affaire, a la responsabilité et l’obligation de décider quelle spécialité expertale est nécessaire et de fournir le nom de l’expert qui rédigera cet avis d’expert.

En parallèle, le système en place depuis 2000 a effectivement retiré aux juges une des fonctions importantes qu’ils avaient auparavant, parce qu’ils ne peuvent plus intervenir dans la décision de choix des experts.

Cependant, dans ce nouveau système, il existe toujours des experts nommés par la Cour et désignés par le juge, du fait de quelques exceptions dans certaines affaires civiles, dans le cadre de l’article 339 LEC 2000. Ce sont, entre autres, les exceptions principales :

  • Si l’une des parties a besoin d’un avis d’expert et si elle a droit à une assistance judiciaire gratuite, elle sera alors seulement obligée d’annoncer la proposition dans la réclamation ou en réponse à la réclamation. Ces experts seront alors choisis par tirage au sort dans une liste spéciale d’experts qui acceptent de travailler dans des conditions spéciales avec des honoraires réduits.
  • Lorsque toutes les parties ont convenu de nommer un expert désigné par le juge.
  • Dans les cas de filiation, paternité, maternité ou incapacité de personnes, le juge a la capacité de nommer un expert d’office.

Quelles sont les trois principales conséquences du système de désignation de l’expert dans la LEC 2000 ?

1-Il y a eu une « privatisation » de l’’expertise judiciaire. L’expert n’est plus confortablement rangé dans une liste fermée d’experts. À partir de 2000, il doit utiliser les outils que la libre concurrence lui donne pour démontrer son expérience et ses solides connaissances dans le domaine de l’expertise requise, ainsi que sa crédibilité auprès des Cours de justice, pour obtenir des contrats avec les avocats, qui sont les nouveaux clients.

2-Du fait que LEC 2000 se fonde également sur les principes d’une audition et d’une contradiction dans tout procès, l’expert de justice « privé » défendra son rapport lors d’une audience où il devra probablement contester et affronter les différentes opinions d’un où plusieurs experts désignés par les autres parties et il devra expliquer son travail et ses conclusions devant la Cour, où il sera soumis à un « examen contradictoire » qui sera enregistré en vidéo.

3-L’Article 429 de LEC 2000 résume très bien la troisième conséquence, qui est, peut-être, la principale différence par rapport aux systèmes de nos pays voisins : en Espagne, le juge civil ne peut pas décider quel avis d’expert sera nécessaire, ce qui implique que, si pendant la séance orale préliminaire (où les parties présentent leurs moyens de preuve), le juge estime que les preuves avancées par les parties pourraient se révéler insuffisantes pour clarifier les faits en question, il ne peut en informer les parties qu’en déclarant que l’avis de la cour pourrait être affecté par des éléments de preuve insuffisants.

De nombreux problèmes sont apparus depuis l’introduction de cette loi de procédure en 2000. Le principal est lié aux informations demandées aux experts pour permettre leur sélection. L’article 340 de LEC 2000 stipule que les experts doivent porter un titre officiel conforme au sujet et à la nature de l’avis à fournir. Dans le cas de matières ne correspondant pas à une profession officielle, les experts doivent être désignés parmi les personnes connaissant bien le sujet concerné.

L’article 341 de LEC 2000 expose la manière dont la liste doit être produite : Courant janvier, les différentes associations professionnelles ou à défaut, les entités similaires, ainsi que les académies culturelles et scientifiques sont invitées à transmettre une liste de membres ou associés acceptant d’intervenir en tant qu’experts. La première désignation de chaque liste doit être faite par tirage au sort en présence d’un greffier et, ensuite, les désignations faites par ordre corrélatif.

Ce règlement implique que les experts de la liste utilisée par les juges n’ont besoin que du titre officiel et qu’aucune autre condition n’est exigée. Il n’y a donc aucun processus de sélection, l’administration Publique ne demande pas d’expérience légale, ni une spécialité dans le titre officiel, ni de connaissances de base du système de procédure, elle demande seulement le titre officiel. Cette situation engendre fréquemment une faible qualité de service des experts figurant sur la liste d’experts de désignation judiciaire, parce que l’on autorise des jeunes gens qui ont obtenu récemment un titre officiel dans n’importe quelle spécialité à inscrire leurs noms sur la liste en vertu de l’article 340 LEC et qu’ils peuvent donc ainsi intervenir dans les affaires civiles.

Ce règlement a aussi provoqué un encombrement de la liste, du fait que les personnes ayant un titre officiel veulent avoir un travail supplémentaire et les honoraires supplémentaires de leur travail et ont demandé sans difficulté à figurer sur la liste d’experts de la Cour de justice, ceci particulièrement pendant la période de la récente crise économique mondiale. Par exemple, en Catalogne seulement (avec environ 600 tribunaux), près de 8 000 experts sont inscrits sur la liste, ce qui affecte à la fois la qualité du service et le statut de l’expert au sein du système.

Ce système d’expertise « privée » dans LEC 2000 a nécessité un grand effort de tous les opérateurs légaux afin de s’adapter au processus civil en Espagne. Les juges ont été les plus critiques avec ce système de l’expert LEC, du fait qu’ils ont réduit considérablement leurs capacités à contrôler et décider des avis d’experts dont ils ont besoin pour obtenir un jugement équitable.

La plupart des experts travaillant dans les tribunaux espagnols font partie soit d’associations professionnelles (architectes, docteurs, ingénieurs, etc.) soit d’associations privées créées dans les départements régionaux (Valence, Madrid, Galice, Pays basque, Catalogne, etc.) afin de défendre et représenter les intérêts des experts dans leurs relations avec les représentants des tribunaux ou avec les institutions publiques espagnoles. Ces Associations, constituées d’experts spécialisés dans les domaines dont la Justice a besoin, ont la valeur ajoutée de représenter les experts établis sur tout le territoire espagnol, en offrant une formation continue à leurs membres dans le domaine de la procédure judiciaire. Un avantage supplémentaire est que ces associations régionales (telles que l’Association catalane d’Experts Judiciaires – www.perits.org – que j’ai l’honneur de présider en ce moment), sont fédérées dans le Conseil Général des Experts Judiciaires Espagnols (www.consejoperitos.com), qui représente la grande majorité de nos membres professionnels en Espagne.

Le projet Eurexpertise a permis un recensement exhaustif et une analyse objective des règles et pratiques en usage en matière d’expertise civile sur l’ensemble du territoire de l’UE, et de proposer aux instances européennes des axes de réformes consensuels pour réduire les divergences constatées.

Les fiches par pays résultant de ces travaux sont présentées dans le rapport final Eurexpertise, publié en 2012 et font l’objet d’une réactualisation progressive sous le contrôle de l’Institut et d’une publication en partenariat avec la revue Experts.

Le descriptif concernant l’Espagne a été actualisé et publié dans la Revue Experts n°128 d’octobre 2016, grâce au travail bénévole de contributeurs du monde judiciaire et expertal européen.

Avec l’aimable autorisation de Mme Marie-Hélène Bernard, rédactrice en chef de la Revue Experts.

 

Sites de référence :

  • Sites d’ordres professionnels

www.icab.cat : Barreau de Barcelone

  • Sites de compagnie d’experts

www.aeptj.com = Asociación Española de Peritos Tasadores Judiciales

www.cogiti.es = Conseil Général des Collèges Officiel des Experts et Ingénieurs Techniques Industriels (langue : castillan)

http://www.consejoperitos.com = Collège des experts espagnols, Consejo General de Peritos Judiciales

http://www.uapfe.com/ = Union des Architectes Experts d’Espagne (langue : castillan)

www.cgcom.org = Conseil Général des Collèges Officiels de Médecins (langue : castillan)

www.perits.org = Asociación Catalana de Peritos Judiciales – Association Catalane des experts judiciaires (langues : catalan et castillan)

www.refor.org = Registre des Économistes Légistes (esp. Forenses) = site des experts comptables et financiers membres de l’un des Collèges Officiels régionaux d’Économistes, et exerçant, entre autres activités, en qualité d’experts de justice ou de partie (langue : castillan)