Auteur : Mlle Kay Linnell FCA MBA CFE CEDR Médiatrice de la CEDR et Arbitre agréé

Vice-président de l’Institut Européen de l’Expertise et de l’Expert (EEEI) et vice-président de l’Expert Witness Institute (EWI) à Londres

La décision britannique de quitter l’Union Européenne (UE) le 23 juin 2016 a été exécutée le 29 mars 2017 date à laquelle l’Article 50 a été déclenché et, dans les 2 ans, les conditions de sortie doivent être négociées pour les relations futures entre les 28 pays européens, portant sur les modalités précises de coopération de tarifs, immigration, permis de travail, commerce et accords de coopération de sécurité. Une période de grande incertitude est prédite jusqu’à la finalisation de tous les termes de l’accord.

Ce sont d’excellentes nouvelles pour les avocats de toute l’Europe qui seront engagés dans le traitement des négociations et le règlement des futurs traités et accords au niveau national et individuel des entreprises. Au Royaume-Uni, cette situation est également considérée comme une bonne nouvelle pour les experts témoins car une période de litiges commerciaux devrait résulter des nouveaux contrats conclus après le Brexit et de litiges d’interprétation sur les transactions transfrontalières, ainsi que de migrations d’activités ou de licenciements suite au Brexit.

David Davis, Secrétaire d’État britannique responsable de la sortie de l’Union Européenne, a annoncé le 28 juin 2017 qu’il envisageait de mettre en place un Organe d’arbitrage en alternative à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). Le Royaume-Uni (UK) examinait cette possibilité du fait que la CJUE n’avait pas été mentionnée par l’UE dans ses directives de négociations et que Donald Tusk, président du Conseil européen, a laissé entendre que la proposition du Royaume-Uni en matière de protection des droits des citoyens européens au Royaume-Uni après le Brexit était bien « en-dessous des attentes ». C’est le premier désaccord clairement annoncé dans les négociations du Brexit entre les négociateurs de l’UE et du Royaume-Uni dans le cadre de leur « divorce », car il est inévitable que la CJUE ne soit plus compétente pour les différends britanniques et que l’UE hésitera à accepter toute alternative à la CJUE. Les différents de presque toute nature sont potentiellement de bonnes nouvelles pour les témoins experts car il s’agit d’un domaine où des conseils techniques ou spécialisés seront requis par toute Cour traitant du différend.

Il a été suggéré qu’il y a cinq options possibles pour un autre groupe mixte d’arbitrage UK-UE : la Cour internationale de justice (CIJ) ; la Cour Permanente d’arbitrage (CPA) ; l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ; la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et la Cour de justice des États de l’Association de Libre-échange (AELE). Pour diverses raisons l’AELE part avec une longueur d’avance du fait qu’elle est reconnue par la CJUE, applique le droit de l’UE et suit la jurisprudence de la CJUE, mais s’adresse également aux États non-membres de l’UE et siège en dehors de l’UE. Si la Cour de l’AELE est retenue, il a été suggéré qu’avec quelques adaptations qui garantiraient les droits des citoyens de l’UE dans le cadre de l’accord Brexit, elle deviendrait alors le lieu où des accords commerciaux comme le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) et le partenariat trans-Pacifique (PTP) seront débattus et le point de contact clé en cas de besoin d’une preuve d’expert judiciaire ou d’un arbitrage.

En fait, pour les experts, le Brexit est une arme à double tranchant.

D’une part il n’y aura plus de reconnaissance mutuelle des qualifications des experts et de la libre circulation des biens et du travail comme lorsque le Royaume-Uni faisait partie de l’UE, bien que pour les témoins experts la reconnaissance des qualifications et de l’expérience semblait être secondaire dans beaucoup de cas du fait de la différence dans les systèmes juridiques sous-jacents et de la création d’une liste fiable d’experts disponibles possédant une expertise spécifique et selon que les experts étaient désignés par le pouvoir judiciaire ou par les parties.

D’autre part il est extrêmement probable qu’il y aura plus de conflits commerciaux et plus de travail pour les experts. Ces positions contrastées doivent être placées dans le contexte du changement technologique avec l’intelligence basée dans le cloud, l’énorme sécurité des données et les défis d’accès, l’augmentation des formalités administratives concernant la protection des données et la nécessité de sécuriser les pare-feu et les contrôles d’identité. Ces évolutions affectent le Brexit car elles sont des facteurs clés dans un paysage commercial volatile après une longue période de faibles taux d’intérêt, une inflation stable et des taux de change relativement stables.

Ce nouvel environnement produit automatiquement de nouvelles opportunités en particulier pour les petites entreprises gérées par leurs propriétaires, afin d’adapter les produits et services et la structure des coûts, afin d’anticiper l’avenir. Il est essentiel que les experts soient conscients du nouveau modèle d’affaires qui sera appliqué aux pays de l’UE après le Brexit, notamment en ce qui concerne les employés, les investissements et les risques. L’impact de toute nouvelle taxe sur la valeur ajoutée ou taxe sur les points de vente, droits d’importation ou d’exportation et autres prélèvements entraînera à tout le moins des retards de trésorerie, un impact sur les clients et un accroissement de la documentation, mais il s’agit là d’un domaine de prédilection des politiciens et cela devra être suivi de près.

Ces prélèvements commerciaux transfrontaliers ne devraient pas avoir d’impact direct sur les experts régulièrement mandatés par le Royaume-Uni dans d’autres pays de l’UE et vice versa. Toutefois, de tels prélèvements ou droits auront un impact sur leurs avocats et leurs clients ultimes, ce qui pourrait entraîner le renoncement aux interventions d’experts judiciaires reconnus au niveau international au profit d’experts locaux enregistrés auprès d’un tribunal régional ou d’une chambre de commerce. Je suis d’avis que ce ne sera pas un facteur important dans les cas plus importants où le « meilleur » expert serait préféré dans tous les cas.

Aucun article sur l’impact prévisionnel du Brexit sur le travail des experts dans les cours et tribunaux ne serait complet sans tenir compte des normes attendues pour fournir des preuves indépendantes fiables et techniquement indépendantes par un professionnel dûment qualifié ayant une obligation professionnelle primordiale envers la Cour ou le Tribunal plutôt qu’envers les Parties les instruisant.

Le travail considérable entrepris par l’Institut européen de l’expertise et de l’expert (EEEI) a permis d’établir qu’il n’existe pas de base commune pour la nomination d’experts ou pour le suivi ou la certification de leur niveau de performance dans l’UE, ni aucun annuaire d’experts européens certifiés sur la base d’une norme professionnelle minimale pour fournir des avis d’expert judiciaire. Le projet EUdex visant à identifier des experts avec une spécialisation appropriée pour assister une cour ou un tribunal dans n’importe quel pays de l’UE est soumis par l’EEEI en but d’un financement de l’UE mais n’a pas encore reçu le feu vert.

Un autre projet EEEI consiste à créer un organisme d’accréditation dans chacun des pays de l’UE avant la mise en œuvre du Brexit et à nommer un organisme chargé de superviser les tests et la certification des experts selon une norme nationale et transfrontalière appropriée pour une période de cinq ans, suivant en cela les recommandations du projet européen EGLE, couronné de succès. Cette démarche est certainement déjà lancée dans un ou deux États membres actuels de l’UE, y compris le Royaume-Uni, et se poursuivra après le Brexit. Un tel certificat de 5 ans aidera à surmonter les inquiétudes de ceux qui doivent désigner des experts quant à leurs compétences , par le moyen de discussions multidisciplinaires avec des juges, des avocats et des universitaires afin de promouvoir une norme de conduite minimale commune.
Ce cadre déjà établi pour les affaires civiles doit être étendu aux affaires pénales et autres travaux des tribunaux afin de garantir la qualité des experts autorisés à fournir des avis dans tout le cadre judiciaire européen et au-delà. Les menaces du terrorisme et de la criminalité internationale existent en dehors des limites de l’adhésion à l’UE et, pour la sécurité internationale, il est essentiel d’améliorer l’efficacité et la coopération des enquêtes et contrôles judiciaires transfrontaliers. Cela me semble être une autre possibilité pour les témoins experts et les enquêteurs scientifiques.

Ainsi, à la lumière de ces développements, que le Royaume-Uni soit ou non membre de l’UE ne limite pas le travail de l’expert, et il semble plus important d’établir des normes internationales pour les experts judiciaires plutôt que de les limiter simplement aux pays de l’UE.

En effet, il semblerait que des opportunités d’un recours plus important aux avis d’expert seront générées à court terme pour les experts judiciaires et à long terme pour toute équipe impliquée dans des contrats transfrontaliers. Les experts ne génèrent pas de différends, mais leur engagement précoce peut souvent être rentable pour une résolution pragmatique précoce et la capacité de toutes les parties à continuer à faire des affaires ensemble – peut-être y a-t-il ici une leçon à tirer pour les négociateurs du Brexit ?