Sous la direction du Professeur Xavier CRETTIEZ (Université Versailles Saint Quentin en Yvelines)
Étudiante : Jennifer BOIROT – Étudiante en Doctorat de sciences politique et communication devant aboutir fin 2012.

Objectif de la recherche :
L’expertise psychiatrique et psychologique
dans les affaires de crimes sexuels
en Angleterre, Espagne, Roumanie, Suède et France

 Présentation du sujet

L’ensemble du processus pénal en matière criminelle tend à la découverte de ce qu’il convient d’appeler la Vérité judiciaire. Chacune des parties au procès, chacun des acteurs du système pénal et judiciaire apportent des éléments permettant de reconstituer les faits. Non pas toujours La réalité, mais une réalité. Non pas La vérité, mais une vérité : la vérité judiciaire, qui, une fois le processus pénal achevé, fera foi. Cependant, pour juger, il faut s’interroger, enquêter, rechercher, reconstituer pour comprendre.
C’est bien là tout le travail demandé aux multiples acteurs du processus pénal et judiciaire : de la révélation (ou constatation) des faits au procès pénal, les professionnels du système judiciaire agissent, interagissent dans un même objectif : recomposer les faits, expliquer la réalité, rendre justice au nom de la vérité.

Le sens et la portée du procès criminel ont connu une évolution idéologique notable : pour la Justice contemporaine, établir la vérité d’un crime ne revient plus seulement à déterminer son auteur et lui appliquer une sanction légale, mais également à comprendre les motifs du passage à l’acte pour mieux prendre en charge le déviant.
L’avènement de la psychiatrie et de la psychologie a permis aux experts de la discipline d’apporter des éléments clefs dans l’explication des faits et leur traitement judiciaire ; éléments qui, jusqu’ici, faisaient défaut.

Quelle que soit la procédure nationale étudiée, l’évolution des missions conférées aux experts psychiatres et psychologues pose la question de la nature même de l’expertise, de sa qualification juridique (deviendrait-elle une preuve ? que cherche-t-on à expertiser ? qu’entend-on démontrer ?) et du crédit qui lui est accordée.
Communs aux cinq procédures, trois temps judiciaires peuvent être distingués : l’enquête préalable, la phase d’instruction judiciaire et des mesures pré-sentencielles ; le temps du procès ; celui des mesures post-sentencielles prononcées (incarcération, injonction de soins, suivi socio-judiciaire).
A chacun de ces stades, il conviendra de s’interroger sur les attentes des acteurs (qu’il s’agisse, selon les procédures nationales en vigueur, du ministère public, du juge d’instruction, du président de la formation de jugement ou des parties), et les problèmes spécifiques rencontrés.

 L’expertise psychiatrique et psychologique dans la phase pré-sentencielle

Si les acteurs traditionnels du système pénal et judiciaire conservent une place et un rôle essentiel dans la construction de la vérité judiciaire, d’autres acteurs ont peu à peu imposé leur présence, jusqu’à devenir pour certains un rouage indispensable à la compréhension des faits ; et, par suite, à la prise en charge des auteurs d’infractions sexuelles.
Le recours croissant aux experts en psychiatrie et psychologie s’inscrit dans cette évolution.
Purement médicale au départ, la mission des experts a sensiblement évolué.
Il s’agissait initialement pour l’expert de dire si le sujet était atteint d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes : autrement dit, il s’agissait d’évaluer la responsabilité pénale de l’accusé. Aujourd’hui, il est également demandé aux experts de s’interroger sur la personnalité du mis en cause, d’émettre un « pronostic » sur les risques de récidives, de jauger les possibilités de réinsertion du sujet et l’opportunité d’une injonction de soins.
De quelle latitude l’expert dispose-t-il dans l’appréciation des « pronostics » demandés (évaluation du risque de récidive, opportunité d’une injonction de soins), lors de la rédaction de son rapport ?
Existe-t-il au niveau national un squelette-type dans les missions conférées à l’expert d’une part, et dans les rapports rendus par ce dernier d’autre part ? Pouvons-nous mettre en exergue des méthodes de travail communes aux cinq pays étudiés ?

L’expert exécute un mandat de justice. Il est investi d’une mission de service public et est donc un auxiliaire particulièrement précieux pour le fonctionnement de la Justice. Cette réalité française est-elle extensible aux quatre autres pays européens retenus pour notre étude ? Quelles conséquences le statut de l’expert a-t-il sur les questions du choix de l’expert par les parties au procès, sur celle de son indépendance, de sa responsabilité, de sa rémunération ?
Dans quelles conditions le psychiatre peut-il être réquisitionné, par qui, dans quelle mesure ? Quelles sont les attentes des magistrats face à l’expertise psychiatrique et psychologique au cours de l’instruction préparatoire ? Quels sont les apports de telles expertises ?

Nous nous interrogerons par ailleurs sur la perception de sa mission par l’expert lui-même, sur les difficultés rencontrées dans la rédaction du rapport : comment rédiger le rapport scientifique demandé, dans un langage suffisamment intelligible pour être compris par les différents acteurs ?
Comment évaluer la dangerosité, quelles sont les difficultés et écueils rencontrés ?
Quelles influences réelles les conclusions des experts en psychiatrie et psychologie ont-elles sur les suites de la procédure ?
Quelle est la place accordée à l’expert psychiatre dans les cinq pays considérés et comment parvient-il à imposer une parole d’autorité au sein du cadre judiciaire et légale qui est le sien ?

 L’expertise psychiatrique et psychologique dans la phase sentencielle

L’apport de preuves matérielles et de constatations scénographiques ne permet pas toujours à lui seul de démontrer l’ensemble des éléments constitutifs d’un délit ou d’un crime. Un délit ou un crime est (en règle générale), constitué d’un élément matériel, et d’un élément intentionnel (le dol, général ou spécial). Si le premier semble a priori plus aisé à établir, en matière de crimes sexuels, l’un comme l’autre nécessite un travail complexe.
En effet, nombreuses sont les affaires de violences sexuelles révélées des années après les faits, ou pour lesquelles il n’a pas été possible de relever des traces ou indices précis (examen médicaux, ADN, témoins par exemple). Ce qui rend la recherche de la Vérité particulièrement délicate.
L’apport des analyses psychiatriques et psychologiques de l’accusé comme de la victime présumée, revenant sur leurs vécus, leurs traits de personnalités, leurs troubles éventuels, s’avèrent des éléments très précieux pour les parties au procès (avocat de la défense, des parties civiles, ou avocat général). Ceci semble particulièrement vrai vis-à-vis des jurés, qui n’ont pas connaissance du dossier avant l’ouverture du procès, et découvre les éléments qu’il contient à mesure que l’audience avance.
Aussi, le témoignage de l’expert appelé à la barre devient-il assez vite une véritable épreuve pour le praticien, subissant un interrogatoire pour le moins éprouvant. L’ensemble des acteurs essayant de tirer à son avantage les dires du praticien, dans quelle mesure l’expert parvient-il à demeurer dans sa sphère de compétence face aux attentes pressantes de chacune des parties ? Quelles sont les spécificités de la déposition orale des experts lors du procès ?
Notre attention se portera par ailleurs sur les attentes de la Cour vis-à-vis de l’expert au moment du procès, afin de comprendre dans quelle mesure les informations exposées influent-elles sur la construction de l’intime conviction de la Cour et sur la décision rendue.

Au cours de ces deux premiers temps judiciaires, des questions éthiques et déontologiques méritent réflexion : lorsque les faits ne sont pas avérés, lorsque la personne les nie durablement, de quelle marge de manœuvre l’expert dispose-t-il dans la réponse aux questions types ?
Comment aborder le problème de la crédibilité des expertises comme des discours tenus par les auteurs et les victimes « expertisées » ? Quelles recommandations l’étude comparée nous amènent-elles à proposer ?

L’expertise psychiatrique et psychologique dans la phase post-sentencielle

Le prononcé du verdict ne condamne pas les experts psychiatres et psychologues à l’arrêt des investigations, mais s’entend davantage comme une forme de libération conditionnelle pour le praticien. En effet, face à l’évolution des politiques publiques de prévention de la récidive, notamment en matière de délinquance à caractère sexuel, la mission du psychiatre et du psychologue se poursuit bien au-delà des portes du tribunal.

Face aux scandales médiatiques et judiciaires, les pouvoirs publics européens ont souhaité renforcer la lutte contre les violences sexuelles et améliorer la prévention de la récidive.
Cette volonté du législateur, (volonté rencontrée dans les cinq pays étudiés), se traduit notamment par la mise en place d’équipes pluridisciplinaires intervenant au sein des établissements pénitentiaires.
Afin de renforcer la « professionnalisation » ce ces équipes en matière de prise en charge des auteurs d’infractions sexuelles et de lutte contre la récidive, les administrations pénitentiaires incitent au développement d’outils d’évaluation criminologique de plus en plus précis. Le produit de ces synthèses, évaluant la dangerosité du criminel sexuel, a pour objectifs d’éclairer l’autorité judiciaire.

Assistons-nous au développement, par l’administration pénitentiaire, d’une nouvelle forme d’expertise, issue non plus uniquement de l’analyse criminologique de l’expert-psychiatre, ou expert-psychologue, inscrit sur les listes judiciaires, mais aussi du « simple » psychiatre, ou psychologue, intervenant en milieu pénitentiaire dans ces équipes pluridisciplinaires, et tirant leur expertise de la pratique routinière de l’évaluation à visée criminologique ? Des outils et méthodes mis en place en vue de l’évaluation du délinquant sexuel détenu ?
Dans ce contexte, quelle place l’expert psychiatre et psychologue « traditionnels » conservent-ils dans l’évaluation post-sentencielle des auteurs d’infractions sexuelles ?

Cette approche polysémique de la notion « d’expertise psychiatrique et psychologique post-sentencielle » (expertise judiciaire « stricto-sensu » et « pratique expertale ») s’observe-t-elle dans les quatre autres pays étudiés ? Quel rôle l’expert psychiatre joue-t-il dans cette dernière phase judiciaire en Suède, Royaume-Uni, Espagne, Roumanie ? Quels sont le contenu et l’objet des expertises menées dans chacun des pays ?
La réponse apportée à ces interrogations devrait nous permettre de comprendre les enjeux à venir pour l’expertise psychiatrique et psychologique pénale post-sentencielle en terme de politique publique de prévention de la récidive au niveau européen.

Méthodes de travail et résultats attendus

Après avoir étudié les méthodes de travail des experts en psychiatrie et psychologie au sein des cinq pays concernés, il nous appartiendra de mettre en relief ces informations par une analyse de la pratique réelle.
Deux voies seront privilégiées :
– Concernant la place de l’expert dans la phase pré-sentencielle : consultation de dossiers judiciaires, observation des audiences et entretiens avec les différents acteurs (experts, magistrats, avocats…). Cette opération devra être répétée pour chacun des pays considérés.

Concernant la phase sentencielle et post-sentencielle : analyse des moyens, observation in situ de la mise en œuvre des décisions (notamment injonction de soins, évaluation du condamné au cours de la détention, expertise de pré-libération). Cette opération sera renouvelée dans chacun des pays étudiés afin de comprendre le fonctionnement de l’expertise psychiatrique dans la mise en œuvre des politiques publiques de prévention de la récidive.

Résultats attendus

L’étude proposée nous permettra, dans un premier temps, de dresser une sociologie de la profession des experts en psychiatrie en Suède, Royaume-Uni, Espagne, Roumanie et France : leur formation, leur qualification, conditions d’accréditation et règles déontologiques.
Nous étudierons, dans une perspective comparatiste, les règles de procédures pénales relatives à l’expertise en psychiatrie et psychologie en matière de crimes sexuels ; la place qui lui est donnée dans le processus pénal et judiciaire et ses conséquences.

Il s’agira pour nous de :
– Comprendre les interactions et enjeux que pose le recours à l’expertise psychiatrique et psychologique dans l’ensemble du processus pénal et judiciaire en matière de crimes sexuels.
– Dresser un bilan des procédures nationales existantes afin de mettre en relief les atouts et faiblesses des procédures nationales en vigueur.
– Suggérer des préconisations valorisant la coopération transnationale et tendant à une harmonisation européennes de l’expertise psychiatrique et psychologique au sein du processus pénal et judiciaire en matière de crimes sexuels.
– Nous interroger sur les évolutions à venir de la pratique de l’expertise psychiatrique pénale : concernant la formation des psychiatres et psychologues à la pratique de l’expertise, mais aussi concernant la recherche de critères d’attractivité visant à promouvoir l’engagement des praticiens vers l’expertise.